Considérations partielles

Considérations partielles

Je cherche à me voir, de même que ce qui m’entoure, comme si j’étais d’ailleurs, comme si je n’étais pas moi. La segmentation de l’image est un moyen de me dissocier, de m’éloigner, et aussi de me rapprocher. Autant je peins ce lieu, ce moment précis de mon existence, autant ce n’est pas ce que je peins. Lorsque je le reproduis, je considère l’espace de l’instant photographique dans ses détails, je l’oublie comme tout. J’assemble, en les cousant, des morceaux de représentation réalisés indépendamment. Je lie différents moments de regard en une seule image. Ce procédé produit des clivages dans les tons et les formes, crée une vibration de la surface. Je brouille la perception en la fragmentant pour défaire l’évidence des choses.

Un extrait de L’Extase matérielle de J.M.G. Le Clézio qui résonne pour moi avec les Considérations partielles :

Je suis amoureux des détails. J’aime bien tout ce qui est petit, j’ai comme du respect pour les animaux, pour les objets. Plus ils sont ténus, plus ils me plaisent. Nous avons une image imprécise de la vie ; la mienne est faite de ces détails mesquins. Une chambre, par exemple, avec des bibelots bon marché, un tapis abîmé, une mouche qui vole, des cendres de cigarette éparpillées autour du cendrier. Un crayon à bille en métal blanc, avec des petites rayures circulaires et, écrit sur l’agrafe,

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[…] C’est bien d’avoir un paysage à soi, des objets, des petits signes, des taches, des événements miniatures qu’on peut observer et comprendre. Ça vous oblige à être conscient. Ça vous force à être tout petit, une vraie tache aussi, dans le monde plein de drôles de graffitis, de signes, d’objets doux et tragiques. Ça vous fait courber la tête sous le poids de l’existence, ça vous jette à terre et vous fait adorer. Dans ma chambre, dans la rue, la ville, sur toute la terre et même ailleurs, il y a beaucoup de petits dieux, et je me prosterne devant chacun d’eux.

Texte de Jérôme Delgado, Le Devoir

Texte de Françoise Belu, Vie des arts